Télésanté: De nouvelles règles plus précises, mais toujours incomplètes
Par Marco Laverdière
Depuis septembre dernier, de nouvelles dispositions législatives et réglementaires encadrent l’offre de soins virtuels par le système de santé québécois, suite à l’entrée en vigueur du Règlement sur les services de santé et les services sociaux pouvant être dispensés et les activités pouvant se dérouler à distance.
Ce développement est le fruit d’une gestation plutôt laborieuse, qui a été initiée en 2022 en vue de remplacer les règles temporaires édictées au cours de l’état d’urgence sanitaire de la pandémie de la COVID-19. Il faut se rappeler qu’avant la pandémie, les services de téléconsultation étaient exclus de la couverture du régime public d’assurance maladie, sauf dans le cadre assez étroit de certains projets particuliers. Pas étonnant ainsi que, dans un rapport de 2022, la Vérificatrice générale du Québec (VGQ) ait constaté que, dans le contexte pandémique, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et les établissements étaient mal préparés pour l’offre de services en télésanté et que l’encadrement de celle-ci était déficient.
Ainsi, les dispositions en vertu desquelles ce nouveau règlement a été adopté ont été introduites tardivement dans le Projet de loi 11 adopté en 2022, qui a eu pour effet de modifier la Loi sur l’assurance maladie (L.A.M.) et la Loi sur les services de santé et les services sociaux (L.S.S.S.S.) sur cette question. Il aura fallu que deux projets soient publiés à la Gazette officielle du Québec pour que ce règlement soit finalement édicté. Celui-ci devrait toutefois survivre à l’entrée en vigueur, le 1ᵉʳ décembre prochain, de la Loi sur la gouvernance du système de santé et de services sociaux (L.G.S.S.S.S.), résultant de l’adoption du Projet de loi 15 (Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace), en raison de dispositions transitoires qui y sont prévues (art. 1624 et 1636 al. 2 L.G.S.S.S.S.). Dès lors, ce sera Santé Québec qui sera responsable de cet encadrement réglementaire.
Quelles sont les nouvelles règles applicables?
Comme nous l’avions relaté en 2022 lors de l’adoption du Projet de loi 11, les nouvelles dispositions législatives et réglementaires sur la télésanté s’appliquent surtout au secteur public, soit aux services rendus par un établissement ou pour son compte ainsi qu’aux services professionnels couverts par le régime public d’assurance maladie, notamment ceux rendus dans un centre médical spécialisé ou en cabinet privé (art. 384, 590, 670 L.G.S.S.S.S.; art. 22.0.0.0.3 L.A.M.). Elles ne concernent donc pas, par exemple, les services professionnels qui ne bénéficient pas d’une telle couverture publique et qui sont rendus en cabinets privés ou pour le compte de plateformes commerciales privées de soins virtuels (Maple, Teladoc, Dialogue, etc.).
Pour l’essentiel, les nouvelles règles prévoient ce qui suit :
- Services « à distance » plutôt que « télésanté » : Sur le plan terminologique et conceptuel, on ne parle plus de « télésanté » et il n’y a plus de définition comme celle, assez alambiquée, prévue par la disposition antérieure (art 108.1 al. 2 L.S.S.S.S.). On parle dorénavant de services dispensés « à distance » (art. 384, 590, 670 L.G.S.S.S.S.). Les dispositions n’opèrent donc pas de distinctions entre divers types de services rendus à distance (télémédecine, télésoins, téléavis, télésurveillance, etc.).
- Des services à distance seulement dans les cas prévus par règlement : La règle est à l’effet que les établissements et les professionnels dont les services sont couverts par le régime public d’assurance maladie, ne peuvent rendre des services à distance « que dans les cas et aux conditions que Santé Québec détermine par règlement » (art. 384, 590, 670 L.G.S.S.S.S.; art. 22.0.0.3 L.A.M.). Les exigences réglementaires étant définies de façon assez large, elles ne devraient pas être un frein à la plupart des initiatives visant à offrir des soins virtuels.
- Droit de recevoir les services en présence : Le droit de l’usager de recevoir les services en présence est par ailleurs prévu (art. 9 L.G.S.S.S.S.), étant compris toutefois qu’il s’exerce en tenant compte des « dispositions législatives et réglementaires relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’établissement ainsi que des ressources humaines, matérielles et financières dont il dispose » (art. 16 L.G.S.S.S.S.).
- Rémunération différenciée : Une entente intervenue entre le MSSS et les associations représentant des professionnels dont les services sont couverts par le régime public peut prévoir une rémunération différente pour la fourniture à distance de services médicaux, en fonction notamment du moyen utilisé pour fournir le service (art. 19 al. 6 L.A.M.).
En ce qui concerne le règlement, il peut être résumé comme suit :
- Choix du mode de dispensation en fonction de la nature du service : D’abord, ce qui tombe sous le sens, les services pouvant être rendus à distance sont « ceux qui ne requièrent pas que la personne qui le dispense et celle qui le reçoit soient en présence l’une de l’autre, notamment parce qu’il implique un examen ou un soutien qui ne peuvent être offerts à distance » (art. 1 par. 2) du règlement). Considérant certaines critiques déjà entendues à ce sujet, il s’agit manifestement d’éviter que des services dispensés à distance conduisent systématiquement à ce que le patient soit dirigé vers une urgence médicale ou hospitalière en raison du besoin d’un examen physique.
- Consentement requis : Le consentement du patient relativement à la dispensation de services à distance doit être obtenu sur la base d’informations concernant les limites inhérentes à ce mode de dispensation, les moyens de communication utilisés et leurs risques sur le plan de la confidentialité, ainsi que, le cas échéant, l’endroit où le suivi pourra être obtenu en présence et l’enregistrement des communications effectuées. Bien sûr, on pourra passer outre à ce consentement si celui-ci ne peut être obtenu en temps utile, lorsque la vie de la personne est en danger ou son intégrité menacée (art. 1 par. 1), 2 et 3 du règlement).
- Plan de contingence : Un plan de contingence en cas de problèmes avec les technologies utilisées pour la dispensation du service doit être élaboré et il peut être commun pour l’ensemble des professionnels qui exercent leur profession dans le même lieu d’exercice ou pour la même organisation. (art. 1 par. 3) et 4 du règlement).
- Suivi en présentiel disponible au besoin : De façon cohérente avec le droit reconnu au patient à ce sujet (art. 9 L.G.S.S.S.S.), l’établissement ou le professionnel doit être en mesure d’offrir un suivi en présence (art. 1 par. 4) du règlement). Un professionnel en centre médical spécialisé ou en cabinet qui ne peut offrir lui-même le service en présence doit s’assurer qu’un autre professionnel qui exerce au même lieu puisse le faire ou, encore, doit établir un « corridor de services » à cette fin avec un professionnel qui exerce ailleurs (art. 5 du règlement).
- Suivi en présentiel devant être prévu pour une prise en charge à long terme : Une consultation en présence doit être prévue lorsque la consultation à distance intervient en vue d’un suivi à long terme de l’ensemble des aspects de la santé du patient (art. 6 du règlement), ce qui serait susceptible de s’appliquer, entre autres cas, aux médecins de famille et aux infirmières praticiennes spécialisées lorsqu’ils acceptent une telle prise en charge d’un patient.
- Le lieu d’exercice détermine les règles applicables : À l’instar des règles antérieures en cette matière (art. 108.2 L.S.S.S.S.), c’est le lieu où exerce le professionnel ou l’intervenant qui offre les services à distance qui, sauf exception, sera considéré comme le lieu où le service a été dispensé aux fins de l’application de la loi et des règles de tenue de dossier (art. 7 du règlement).
Qu’en est-il de ces autres enjeux: secteur privé, renseignements de santé et services interprovinciaux ?
Ce nouveau cadre législatif et réglementaire ne couvre pas tous les enjeux liés aux services rendus à distance et il est bien sûr complété par des règles d’application générale, comme celles qui découlent du Code des professions. Comme on l’a vu au gré de décisions disciplinaires rendues au cours des dernières années, les règles applicables à un professionnel dans un contexte de prestation de services en présentiel devraient également prévaloir lorsqu’il s’agit de soins virtuels. Ces règles peuvent ainsi répondre à plusieurs préoccupations en ce qui concerne la télésanté, comme celles relatives à la qualité de l’exercice et le respect des normes généralement reconnues dans la profession, la facturation des services, la tenue de dossier, etc.
Il reste que pour l’instant, à défaut d’avoir des règles spécifiques sur la télésanté pour le secteur privé, il faut s’en remettre à d’autres instruments normatifs, comme les guides et lignes directrices des ordres professionnels, ou attendre des développements jurisprudentiels, en matière disciplinaire ou de responsabilité civile, pour obtenir des précisions sur certaines questions. C’est le cas par exemple du droit aux services en présence et de l’obligation de prendre des moyens effectifs pour y donner suite, qui ne sont actuellement pas clairement affirmés dans la réglementation professionnelle.
On note aussi que, alors que la nouvelle Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux a été conçue en vue d’assurer que « les données suivent le patient », certains prestataires de soins virtuels pourraient y échapper. Ce pourrait être le cas des plateformes commerciales privées qui ne correspondent pas à la définition des organismes visés par cette loi, sauf peut-être dans le cas de services qui y sont rendus par des travailleurs autonomes, qui pourraient être assimilables à la situation d’un cabinet privé. Ces plateformes n’étant pas non plus des sociétés d’exercice visées par la réglementation des ordres professionnels, elles peuvent aussi échapper, en partie du moins, à la compétence de ces derniers. Pas étonnant ainsi que le Collège des médecins du Québec et d’autres ordres professionnels aient réclamé des pouvoirs accrus relativement aux tierces parties du secteur privé, comme celles qui offrent des services de télésanté, lors des travaux parlementaires relatifs au Projet de loi 67, soit la première étape législative de la modernisation du système professionnel québécois.
Plus encore, en ce qui concerne les soins virtuels offerts sur une base interprovinciale par ces mêmes plateformes, la réponse à la question de la détermination des règles applicables est assez hésitante et fluctuante. C’est le cas en ce qui concerne la réglementation professionnelle, où il n’y a toujours pas un consensus bien établi en ce qui concerne une question aussi basique que la détermination de la juridiction dans laquelle il faut détenir un permis d’exercice, soit celle où se trouve le professionnel, celle où se trouve le patient ou encore, les deux. Des accords interjuridictionnels comme ceux établis pour les médecins dans les provinces de l'Atlantique ou pour certaines professions aux États-Unis, pourraient aider à clarifier cette question, mais il serait souhaitable qu’ils s’appuient sur des dispositions législatives habilitantes, comme celles prévues pour les accords de reconnaissance mutuelle pour la mobilité professionnelle.
Le secteur privé ayant été plus dynamique que le secteur public dans le développement des soins virtuels au cours des dernières années, il est ainsi étonnant de constater que le législateur n'y accorde pas plus d’attention. Il faut rappeler que les plateformes commerciales peuvent déployer une offre de services de télésanté assez substantielle, répondant à des besoins similaires à ceux visés par les services assurés par le système public. Cette offre peut ainsi reposer sur un large éventail de professionnels œuvrant à l’extérieur du régime public d’assurance maladie, comme des médecins non participants, des psychologues, des nutritionnistes, etc. Suivant une rare exception réglementaire à l’interdiction de la couverture duplicative de services publics et à la pratique mixte publique-privée, il peut même s’agir de médecins participants au régime public qui offrent des services de téléconsultation dans le cadre de régimes privés d’avantages sociaux, d’un contrat d’assurance collective ou en vertu d’autres arrangements semblables en milieu de travail. D’ailleurs, en ce qui concerne le financement de ces services, on observe récemment certaines tensions entre le gouvernement fédéral et celui des provinces et territoires, de même qu’avec des assureurs et employeurs privés, en raison de l’intention annoncée par le ministre fédéral de la Santé d’émettre une nouvelle lettre d’interprétation de la Loi canadienne sur la santé visant à étendre la notion de services assurés aux soins virtuels.
En définitive, les nouvelles dispositions sur les soins virtuels ont certainement le mérite d’établir des règles plus précises et plus adaptées que les précédentes qui ont été édictées au début des années 2000, mais elles ne couvrent qu’une partie des enjeux en cause. Dans la foulée du Plan Santé de l’actuel gouvernement, qui identifie la télésanté comme un élément important de la « première ligne du futur », et du chantier de modernisation du système professionnel qui est en cours, il pourrait y avoir une occasion pour les différentes autorités concernées de parachever le cadre juridique sur cette question.