C’est une fille. C’est un garçon. C’est … ?

Par François Vialla

Ερμαφρόδιτος Fils d’Hermès et d’Aphrodite

À la demande d’une personne « intersexe », le 20 août 2015 le Tribunal de Grande Instance de Tours a ordonné la substitution sur l’acte de naissance de la mention « sexe : neutre » à celle « de sexe masculin ». Le tribunal dit la préférer à celle, « plus stigmatisante » d’« intersexe » qui pourrait conduire à une « catégorisation », ce que les magistrats souhaitent éviter en ce qu’elle pourrait conduire à la reconnaissance d’un ‘‘nouveau genre’’.

Neutre ? Le choix du terme n’est pas … neutre !

Les latinistes en conviendront.

En latin, en effet le terme « neuter » est formé de la négation « ne » et du pronom interrogatif « uter » qui signifie « lequel des deux ? ».
« Neuter » peut donc ainsi s’entendre :  « aucun des deux ».

Là est bien la question posée.

Le sexe comme élément de l’état civil n’offre, en droit positif français, que deux mentions possibles :
M (mâle ou masculin ?) ou F (femelle ou féminin ?).

Le droit ne pense l’humanité que de façon binaire.

Notons cependant que déjà le Tribunal Civil d’Alais, le 23 janvier 1873 (D 1882, 3, p. 71) avait utilisé la formule « le sexe neutre, s’il existe ».

Affiche : J Mercoirol pour les assises du corps transformé www.bnds.fr : regards croisés sur le genre

Affiche : J Mercoirol pour les assises du corps transformé
www.bnds.fr : regards croisés sur le genre

Le sexe : une réalité, juridique, insaisissable ?

Se pose, alors, la question de la pertinence du maintien de la mention de sexe à l’état civil, cette « vérité historique » selon la formule du Doyen Carbonnier !

La notion de sexe ne fait l’objet d’aucune définition légale en France et c’est à la jurisprudence de suppléer le silence de la loi. Si l’« apparence extérieure des organes génitaux » demeure le critère général « d’assignation » des nouveaux nés, la Cour de cassation se réfère aussi aux caractères génétiques, anatomiques, physiologiques mais aussi, parfois, au sexe ‘‘psychosocial’’.

On peut aussi considérer que « le sexe juridique, compris dans l’état des personnes, est un sexe social ; il relève donc entièrement du genre »

(Ph. Reigné , Sexe, genre et état des personnes, JCP G 2011, 1140 ; F.Vialla, Iphis ou Atalante, in Regards croisés sur le genre, Actes Colloque Montpellier 2009, Les assises du corps transformé, LEH 2010, Dir. J. Mateu, M. Reynier, F. Vialla, p. 213 www.bnds.fr)

Le Commissaire Européen aux Droits de l’Homme, M. Thomas Hammarberg, écrivait :

« Le sexe de la personne est généralement déterminé à la naissance, puis il devient un fait juridique et social » (p. 5)

La situation des personnes « intersexuées » chez qui le génotype ne correspond ainsi pas au phénotype ne peut être confinée dans une approche binaire de l’humanité, au risque de les condamner à un impossible choix ! Leur apparence physique (phénotype) ne permettant pas toujours un tel rattachement, même « artificiel ».

En 2012 en Suisse, la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine précisait que par « intersexualité »,

« on comprend une situation dans laquelle le sexe d’une personne ne peut pas être déterminé de façon univoque sur le plan biologique. Cela veut dire que le développement sexuel chromosomique, gonadique et anatomique suit une trajectoire atypique et que les marqueurs de la différenciation sexuelle ne sont pas tous clairement masculins ou féminins. »

Ces situations sont, dans le champ lexical médical, qualifiées de « disorder of sex development » (DSD) ou de « troubles du développement sexuel ». Cette ‘‘appellation’’ générique masque en réalité une grande variété de diagnostics.

Assises du corps transforme 2

La binarité de l’identité civile en question

Dans l’affaire jugée en France, la personne avait, à sa naissance, été déclarée « de sexe masculin », elle « a été élevée comme tel par ses parents et son entourage ». En dépit d’un caryotype masculin XY, elle présentait une « ambiguïté sexuelle » confirmée : « hypogonadisme avec impubérisme », « absence du développement sexuel ; ses organes génitaux ont conservé à l’âge adulte tout à la fois des aspects féminins et masculins », absence de  production « d’hormones sexuelles que ce soit de nature masculine (testostérone) ou féminine (œstrogène) ». Sur le plan psychique, la personne est dans l’impossibilité de « se définir sexuellement et revendique une identité intersexuée ». Pour son entourage comme pour la communauté médicale, l’assignation masculine réalisée à la naissance relève de l’artifice.

Les magistrats remarquent :

«  il apparaît que la question relève aujourd’hui de la sphère du droit plutôt que de celle de la médecine qui a fait suffisamment part ( ?) de son incertitude sur la situation ».

Il y a pour eux impossibilité

« de définir le sexe de (…) d’un point de vu génital, hormonal et surtout psychologique, alors que toute la jurisprudence, notamment en matière de transsexualisme, a fait primer cet aspect de l’identité sexuelle sur tout autre ».

En droit positif français l’Article 57 du Code civil précise que « L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille (…) ».

Pour la juridiction tourangelle, la nécessité  ‘’d’assigner un sexe juridique’’ se heurte à une impossibilité médicale de le déterminer. Décider dans un choix dual sera créateur d’une situation totalement artificielle.

L’article 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 aborde la question de l’incertitude :

« Lorsque le sexe d’un nouveau-né́ est incertain, il convient d’éviter de porter l’indication « de sexe indéterminé́ » dans son acte de naissance. Il y a lieu de conseiller aux parents de se renseigner auprès de leur médecin pour savoir quel est le sexe qui apparait le plus probable compte tenu, le cas échéant, des résultats prévisibles d’un traitement médical. Ce sexe sera indiqué dans l’acte, l’indication sera, le cas échéant, rectifiée judiciairement par la suite en cas d’erreur » (…) « Si, dans certains cas exceptionnels, le médecin estime ne pouvoir immédiatement donner aucune indication sur le sexe probable d’un nouveau-né́, mais si ce sexe peut être déterminé définitivement, dans un délai d’un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés, il pourrait être admis, avec l’accord du procureur de la République, qu’aucune mention sur le sexe de l’enfant ne soit initialement inscrite dans l’acte de naissance. Dans une telle hypothèse, il convient de prendre toutes mesures utiles pour que, par la suite, l’acte de naissance puisse être effectivement complété par décision judiciaire. Dans tous les cas d’ambiguïté sexuelle, il doit être conseillé aux parents de choisir pour l’enfant un prénom pouvant être porté par une fille ou par un garçon »

De façon très étonnante ce texte semble donc imposer un choix, médical et juridique, dans les deux premières années de vie ! Or le TGI de Tours, qui évoque un « vide juridique », remarque que la possibilité perdure que le sexe ne puisse pas être déterminé dans ce délai, comme cela est précisément le cas dans l’affaire jugée.

Le jugement souligne le caractère artificiel du choix opéré à la naissance de la personne qui

« apparaît comme une pure fiction, qui lui aura été imposée pendant toute son existence sans que jamais il ait pu exprimer son sentiment profond ce qui contrevient aux dispositions de l’article 8 alinéa 1er de la Convention Européenne des Droit de l’Homme, qui prime sur toute autre disposition du droit interne ».

Le sexe assigné à la naissance sur la base d’une pure fiction est-il une fatalité ?

L’artifice doit-il être maintenu sur l’autel de l’indisponibilité de l’état des personnes ?

Comment ‘‘assigner une identité sexuée’’ à une personne qui ne peut être ‘‘rattachée’’ à aucun des deux sexes ? La binarité est-elle un dogme absolu ?

Le jugement précise que la demande « ne se heurte à aucun obstacle juridique d’ordre public, dans la mesure où la rareté de la situation (…) ne remet pas  en cause la notion ancestrale de binarité des sexes, ne s’agissant aucunement dans l’esprit du juge de voir reconnaître l’existence d’un quelconque ‘‘troisième sexe’’ ».

C’est bien l’impossibilité de rattacher la personne à l’un des deux sexes qui conduit à ordonner la substitution de la mention « sexe : neutre » à celle « de sexe masculin ». Ajoutons qu’il ne s’agit ici aucunement de « faire du sexe un élément soumis à la pure autonomie de la volonté » mais bien de constater l’artifice d’un rattachement à l’un ou l’autre des deux sexes.

Alors que le Parquet a fait appel, on se permettra de suggérer à la Cour d’Orléans de méditer cette formule de Goethe

« j’aime mieux commettre une injustice que de souffrir le désordre » ! ?

Goethe, siège de Mayence, in Annales 1822.

Quelle évolution faut-il envisager en droit ? Faut-il envisager la création de nouvelles catégories ou envisager la suppression de la mention de sexe à l’état civil ?

Doit-on considérer que

« Vouloir à tout prix répartir tous les hommes en deux catégories et deux seulement alors que cela est en complète contradiction avec la nature est totalement artificiel et constitue la négation du fait humain par le Droit » ?

M.-L. Rassat, Sexe, médecine et droit, in Mélanges offerts à Pierre Raynaud : Dalloz, 1985, p. 655

Faut-il plutôt persister à la suite du Doyen Carbonnier et affirmer :

« Il faut se garder d’une législation des cas cliniques – ces cas cliniques tels que nous les rencontrons au hasard des procès » ?

Carbonnier, Essais sur les lois, Defrénois, 1995 pp. 57-58

Vexata questio ! la question de la « réassignation »

Par-delà la question de l’identité civile, ce sont certaines pratiques médico-chirurgicales parfois qualifiées « d’assignation » ou de « réassignation » qui posent questions, lorsqu’un ‘‘diagnostic’’ de DSD est réalisé.

Interrogations tout autant cliniques, qu’éthiques et juridiques.

Assurément,

« Certaines formes de DSD ont néanmoins des complications qui requièrent des mesures médicales, car elles peuvent représenter un risque vital (insuffisance surrénalienne ou perte de sel, par exemple) ou être associées à un risque accru de cancer ».

En droit français l’atteinte à l’intégrité corporelle n’est envisageable qu’en cas de nécessité médicale pour la personne. Elle doit respecter les « données acquises de la science » et les « connaissances médicales avérées ». Elle doit aussi s’inscrire dans un rapport de proportionnalité « bénéfice / risque ».

Or, la prise en soin médico-chirurgicale pourra conduire, en cas de réassignation, à une agénésie irréversible. L’hormonothérapie prescrite, parfois hors Autorisation de Mise sur le Marché, peut conduire à confiner la personne dans une situation pathologique à vie.

Les règles de la déontologie médicale sont aussi de nature à guider l’homme ou la femme de l’art. Le praticien doit s’interdire « de faire courir au patient un risque injustifié », il ne peut pratiquer « Aucune intervention mutilante (…) sans motif médical très sérieux ». S’agissant d’un mineur l’article R4127-43 du Code de la Santé Publique (CSP) précise, encore, que

«Le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage ».

L’impossibilité de rattacher une personne à un sexe déterminé relève-t-elle toujours de la pathologie ?

Une autre question tout aussi problématique se pose eu égard à la gravité de l’acte chirurgical éventuellement envisagé qui s’apparente à une mutilation. Qu’en est-il du consentement de la personne ?

Assurément, s’agissant d’un mineur, les règles semblent conduire à valider le consentement émis par les titulaires de l’autorité parentale. La situation cependant est plus complexe qu’il n’y paraît dans la mesure où le consentement du mineur doit être recherché :

« Le consentement du mineur (…) doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision »

CSP Art. L1111-4, al.6

La combinaison des règles émises par les conventions de New York et d’Oviedo conduisent cependant à faire de la parole de l’enfant un élément essentiel de la décision envisagée.

Ajoutons, dans l’hypothèse d’un diagnostic tardif notamment, que les dispositions de l’article L1111-5 du CSP autorisent le médecin, à la demande du mineur, à

« se dispenser d’obtenir le consentement du ou des titulaires de l’autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque le traitement ou l’intervention s’impose pour sauvegarder la santé d’une personne mineure, dans le cas où cette dernière s’oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé. Toutefois, le médecin doit dans un premier temps s’efforcer d’obtenir le consentement du mineur à cette consultation. Dans le cas où le mineur maintient son opposition, le médecin peut mettre en œuvre le traitement ou l’intervention. Dans ce cas, le mineur se fait accompagner d’une personne majeure de son choix ».

Ne doit-on pas plaider

« fermement pour que les enfants puissent prendre part, en fonction de leur maturité, aux décisions relatives à des traitements médicaux avant même qu’ils soient capables de discernement, et qu’il soit tenu compte de leur avis autant que possible ». (p. 13)

Il faut considérer que

« Le principe qui devrait guider la pratique à l’égard des variations du développement sexuel est le suivant : pour des raisons éthiques et juridiques, aucune décision significative visant à déterminer le sexe d’un enfant ne devrait être prise avant que cet enfant puisse se prononcer par lui-même dès lors que le traitement envisagé entraîne des conséquences irréversibles et peut être reporté ». (p. 15)