Après le virus Ebola, le virus Zika : la réaction de l’OMS (enfin) dans les temps ?
Par Florian Kastler
Doctorant travaillant sur le rôle normatif de l’Organisation mondiale de la santé
Institut Droit et Santé
Le Directeur général de l’OMS, Dr Margaret Chan, a convoqué une réunion du Comité d’urgence du Règlement sanitaire international sur le virus Zika, qui a décidé de déclarer une urgence de santé publique de portée internationale le 1er février 2016. Il s’agit de la première déclaration d’urgence depuis celle relative au virus Ebola déclarée le 8 août 2014, pour laquelle l’OMS avait été vivement critiquée car trop tardive. Presque un an et demi plus tard, on attendait donc beaucoup de l’OMS et de sa capacité à réagir rapidement face à des menaces sanitaires transfrontalières potentiellement dévastatrices.
Un cadre juridique international
S’il y a bien un domaine dans lequel l’OMS apparaît compétente –du moins historiquement– c’est celui de la sécurité sanitaire internationale notamment depuis la révision en 2005 du Règlement sanitaire international (RSI 2005), dont on trouve les prémisses bien avant la création de cette Organisation. Compromis international oblige, l’article 2 du RSI 2005 tente un équilibre périlleux entre la santé publique et le commerce international en énonçant l’objectif suivant :
« prévenir la propagation internationale des maladies, s’en protéger, la maîtriser et y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux ».
Toutefois, une des réussites de ce règlement international, qui a force obligatoire pour les 196 pays membres de l’OMS, est d’imposer une obligation de notification aux Etats membres d’événements susceptibles de constituer une Urgence de Santé Publique de Portée Internationale (USPPI). L’annexe 2 du RSI prévoit un « instrument de décision » ou schéma décisionnel permettant aux Etats de déterminer si un événement doit être notifié à l’OMS par le biais de questions. Ces dernières ont trait à la gravité des répercussions de l’événement sur la santé publique, le caractère inhabituel ou inattendu de l’événement, le risque important de propagation internationale ainsi que le risque important de restrictions aux voyages internationaux et au commerce international.
Par ailleurs, le RSI confère une compétence fondamentale à l’OMS : en se fondant sur les informations reçues, en particulier par les Etats parties sur les territoires desquels a lieu l’événement, le Directeur général a la possibilité de déclarer une USPPI. Certes la décision est prise en concertation avec les Etats concernés, mais il revient au Directeur général de trancher après consultation du Comité d’urgence.
Un risque pour la santé mondiale
Afin de justifier la qualification d’USPPI, plusieurs éléments ont été mis en avant par les membres du Comité d’urgence. D’abord, ils ont considéré que le lien entre le virus et les malformations congénitales dont souffrent les enfants nés avec une tête et un cerveau anormalement petits constituait un « événement extraordinaire ». Reconnaissant que la transmission par une femme enceinte à son fœtus n’était pas prouvée scientifiquement, l’OMS a estimé que cette relation causale n’en demeure pas moins « fortement suspecte ». Ensuite, l’évènement doit être de portée internationale. Le Comité a ainsi analysé la distribution géographique des moustiques qui peuvent transmettre le virus et son modèle de propagation. Le virus Zika se transmet par des moustiques du genre Aedes. Si ces derniers représentent seulement deux espèces de moustiques sur 3 500 identifiés, ils sont connus pour leur adaptabilité et leur expansion à travers le monde. Vulnérable au climat froid, cette espèce de moustique est présente dans tous les pays d’Amérique à l’exception du Canada et du Chili.
Margaret Chan a reconnu que le virus se propage de « manière explosive » lors d’une déclaration jeudi le 28 janvier. En effet, de 3 à 4 millions de personnes pourraient être infectées en 2016. Dans 20% des cas, le virus Zika se traduit par de la fièvre, des irritations de la peau, des douleurs articulaires ou des conjonctivites. L’OMS rappelle que la maladie à virus Zika est « en général relativement bénigne ». Toutefois, la situation du Brésil est apparue alarmante en particulier à l’égard du nombre anormalement élevé de microcéphalies : en 2015, les autorités brésiliennes ont recensés 3174 cas confirmés ou soupçonnés contre environ 150 cas annuels entre 2010 et 2014. Au 27 janvier 2016, l’OMS estimait que la maladie avait gagné 23 pays de la région de l’Amérique latine. Le Comité a conclu que ces éléments couplés à l’absence de vaccin et de tests fiables, ainsi que le manque d’immunité de la population dans les pays nouvellement touchés constituaient des causes supplémentaires d’inquiétudes justifiant une action internationale coordonnée. L’OMS se devait donc de réagir au plus vite.
Une réactivité suffisante
La mise en œuvre du RSI 2005 depuis près de dix ans permet de constater la méfiance initiale de l’OMS dans l’utilisation de sa compétence de qualification d’USPPI. Ainsi, seulement trois événements ont été déclarés d’USPPI depuis l’entrée en vigueur de l’instrument en 2007 : le virus A(H1N1) en 2009, le poliovirus sauvage en mai 2014 et le virus Ebola en août 2014. Suite à la crise du virus A(H1N1), le Comité d’examen de l’OMS constatait que l’OMS avait choisi de fixer à un niveau élevé le seuil à partir duquel est déclarée une USPPI et que plusieurs autres événements auraient pu être déclarés urgences de santé publique de portée internationale. De nombreux exemples d’événements non qualifiés ont eu lieu depuis la mise en place du RSI dont notamment : le cas du virus Nipah au Bangladesh en 2009, particulièrement meurtrier en Asie, la flambée du choléra en Haïti en 2010, la recrudescence des cas de poliomyélite en Asie centrale en 2010 et les cas du coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV). Malgré des flambées exceptionnelles causées par des souches rares, le risque de propagation internationale, selon l’interprétation restrictive de l’OMS, apparaissait insuffisant pour qualifier ces événements d’USPPI.
Dans le cas de l’épidémie Ebola, alors que les premières notifications avaient été observées le 26 décembre 2013 en Guinée, l’OMS avait été critiquée en raison de son défaut de réactivité. Selon les données de l’OMS, entre le 1er janvier 2014 et le 28 février 2015 le nombre total d’ « événements » comptabilisés dans le système de gestion des événements de l’OMS s’élevait à 321. Pour autant, lors de la 64e Assemblée mondiale de la santé en mai 2014, aucun élément à l’ordre de jour ne traitait de l’épidémie Ebola. Toutefois, il ne faut pas pour autant considérer que l’OMS n’a rien fait jusqu’à la qualification d’USPPI eu égard à l’épidémie Ebola.
En l’espèce, le premier cas de maladie à virus Zika a été notifié par le Brésil en mai 2015. Or, l’OMS a pertinemment attendu que cet événement soit, d’une part, extraordinaire c’est-à-dire qu’il ait des répercussions graves sur la santé publique et qu’il soit inhabituel et inattendu et, d’autre part, qu’il soit de portée internationale. A cet égard, il faut bien comprendre que le mécanisme de l’USPPI n’a pas pour vocation à répondre à l’ensemble des nouvelles infections qui apparaissent sur la planète. Cela n’empêche pas l’OMS de collaborer avec les Etats concernés même en l’absence de qualification, bien au contraire. Toutefois, l’OMS doit avoir la capacité d’analyser rapidement et efficacement la situation afin de vérifier que les conditions de déclaration d’USPPI sont réunies. C’est ce qu’elle semble avoir réussi à faire avec le virus Zika. Néanmoins, l’OMS ne doit pas simplement réagir et qualifier, elle doit également agir et recommander.
Une qualification insuffisante
Un des intérêts principaux de l’OMS, en tant qu’institution spécialisée de l’ONU, est de pouvoir offrir une réponse coordonnée au niveau international. En particulier, le RSI permet au Directeur général, une fois l’événement qualifié d’USPPI, d’émettre des recommandations à l’égard des Etats. Or, en l’espèce, Dr Margaret Chan a préféré ne pas formuler de recommandations alors même que de nombreux pays le font, mais de façon très dispersée et sans aucune cohérence internationale. Par exemple, aux Etats-Unis comme en France, il est déconseillé aux femmes enceintes de voyager dans les pays touchés par le virus Zika. Dans d’autres pays, il est recommandé aux femmes de ne pas tomber enceinte avant 2018 (au Salvador) ou dans les six prochains mois (en Colombie, en Honduras et en Equateur) alors que dans ces pays l’avortement est illégal.
S’il apparait évident que l’interdiction générale de voyager pour les ressortissants de certains pays n’est pas recommandée, la Directeur général se doit de proposer des recommandations afin d’offrir un cadre d’action international permettant de contenir la propagation de ce virus, mais aussi de le traiter. A cet égard, comme l’OMS l’avait fait pour les USPPI précédentes, par exemple pour le virus Ebola, des recommandations étaient attendues telles que limiter les voyages des femmes enceintes dans les pays à risque ou ne pas limiter le transport général de voyageurs.
L’absence de ces recommandations peut s’expliquer pour deux raisons. Premièrement, comme le rappelait le Comité d’examen du virus A(H1N1), la déclaration d’USPPI constitue un coût pour l’OMS. Or, les ressources financières de l’OMS sont très limitées en raison principalement du désengagement des Etats dans les contributions ordinaires depuis 1994. Néanmoins, la Directeur général doit avoir la capacité, en fonction des priorités énoncées, de mobiliser davantage de fonds, comme Margaret Chan a su le faire a posteriori avec la création d’un fond de réserve suite à la crise Ebola. Deuxièmement, l’absence de recommandations peut également s’expliquer par l’enjeu économique et politique qu’engendrait la limitation de voyage des femmes enceintes dans les pays touchés. A ce titre, il faut considérer l’impact d’une telle limitation sur l’organisation des Jeux Olympiques de Rio pour le Brésil, pays principalement concerné par le virus. Or, il est essentiel que ces considérations ne se fassent pas au détriment de la santé publique.
Si la première étape essentielle de qualification d’USPPI est une réussite et démontre la capacité de l’OMS à tirer les leçons des expériences passées, l’absence de recommandations, et plus généralement, de plan d’action de l’Organisation est des plus inquiétantes alors que les Jeux Olympiques de Rio arrivent à grands pas. L’OMS se doit d’assumer pleinement son rôle de chef de file de la gouvernance mondiale de la santé. L’action de l’OMS face au virus Zika, réelle menace sanitaire transfrontalière, apparaît comme une nouvelle opportunité de démontrer sa crédibilité. Toutefois, cette urgence mondiale ne doit pas faire oublier le besoin de réforme en profondeur de cette institution qui demeure primordiale dans la protection internationale de la santé, mais dont la légitimité doit être renforcée.